26 juillet 2008
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Contribution de Pierre Saly, historien (PCF Paris 5e)
1) Les régimes dits communistes de l’URSS et de la Chine (et, dans des formes diverses de certains autres pays) ont réalisé des tâches historiques considérables, nécessaires et positives. En ce sens ils n’ont pas été et ne sont pas des « échecs ». Mais ils n’ont à presque aucun égard réalisé, ni même ébauché, la tâche fondamentale proposée par la vision marxiste du devenir humain : l’émancipation des individus et des sociétés. En ce sens le communisme, dans sa version étatique historique, est un modèle qui est, et qui a toujours été, inadapté aux réalités d’un pays comme la France.
2) La naissance du PCF au congrès de Tours est le produit de circonstances historiques conjoncturelles aujourd’hui très lointaines et d’une lecture fantasmée de ce qu’était la révolution russe en 1920. Ces circonstances ont disparu. Le congrès de Tours est obsolète dans la plupart de ses dimensions sauf une, essentielle, le refus d’accompagner l’hégémonie de la bourgeoisie et de mobiliser autour d’elle les forces populaires en demande de changements radicaux. Il ne s’agit donc pas d’annuler le congrès de Tours (ce qui n’a d’ailleurs pas de sens pour l’historien) mais de réaliser un nouveau congrès fondateur sur la base de ce même refus, dans les formes de notre temps. Mais je ne crois pas que le congrès du PCF de décembre puisse être ce congrès.
3) Cette lecture fantasmée de la réalité soviétique a perduré pendant environ un demi-siècle faisant fonction d’utopie mobilisatrice. A l’abri de cette utopie s’est organisée, dans les conditions spécifiques de la France, une puissante force de changement réel construite autour d’une stratégie de rassemblement populaire et national visant à des réformes structurelles radicales mettant en cause concrètement le contenu de la domination capitaliste. Rien de cette stratégie et des pratiques qui l’ont accompagnée n’avait le moindre rapport avec ce qui se passait dans les pays du « socialisme (ir)réel ». Cette stratégie demeure la seule possible. Sa part de tactique de sommet et de mobilisation à la base est affaire de circonstances. Mais une chose est évidente : il est vain de croire que les réalités d’aujourd’hui créent les mêmes conditions et possibilités que celles d’il y a un demi ou trois quarts de siècle.
4) Il faut bien constater que l’audience des forces organisées se réclamant du communisme est et a toujours été très faible, souvent négligeable, parfois réelle mais marginale, presque jamais massive (y compris dans la classe ouvrière de la plupart des pays industrialisés) sur la quasi-totalité de la planète. Sauf cas particulier, transitoire, de superposition de l’idéologie nationale émancipatrice et de l’organisation communiste (Chine, VietNam, Cuba etc). Cette audience est aujourd’hui très diminuée, parfois explosée. Dans quelques pays une influence communiste importante s’est révélée ne pas résister aux changements du monde et de la société et s’est en quelque sorte volatilisée (Italie). La menace d’une telle volatilisation n’épargne pas la France.
5) Les conditions de la France sont spécifiques comme celles de tout pays. Or il se trouve qu’existe en France plus que dans aucun autre pays une forte tradition de gauche transformatrice visant à des transformations radicales dans la société (parfois identifiées comme constitutives d’une « révolution ») : républicains « avancés » au XIXe siècle, guesdistes, jauressiens et anarcho-syndicalistes au début du XXe siècle etc. Le PCF a réussi à capitaliser et unifier pendant une courte période la quasi-totalité des forces représentatives de cette tradition (dont d’ailleurs les tendances perduraient plus ou moins dans les profondeurs du peuple communiste). Mais dans le long terme il est clair que ces forces sont diverses, parfois dramatiquement opposées dans des combats significatifs ou futiles. C’est de cette situation qu’il faut partir et non des mythes des organisations déviantes, traîtresses, infiltrées, ayant pour seule ambition de détruire le PCF, bref « ennemies de classe ». L’existence de cette tradition d’une gauche radicale plus ou moins révolutionnaire a jusqu’à présent résisté aux transformations, pourtant majeures, de la société survenues depuis 1789.
6) Il y a donc place en France pour une grande force de gauche transformatrice, se réclamant d’une audacieuse visée de réformes de portée révolutionnaire, notamment anticapitaliste (sauf à penser que, contrairement à ce qui s’est passé pendant deux siècles, les mutations sociales sont venues à bout de l’existence de cette tradition se voulant révolutionnaire, ce que je ne crois pas). Cette grande force de gauche transformatrice, qui a vocation à se rassembler (au moins temporairement) peut occuper un espace politique variable, pas moins de 10% de l’espace électoral, circonstanciellement beaucoup plus. Mais surtout elle peut occuper un espace social et idéologique beaucoup plus important. Or c’est dans cet espace que se construit l’hégémonie qui ouvre la voie aux victoires politiques.
7) Il est vain de penser que cette force « à la gauche du social-libéralisme » puisse se résumer au seul PCF, même « rénové », ou qu’elle puisse se constituer autour du PCF et par ralliement à lui. Je ne crois donc pas que le prochain congrès du PCF puisse être l’étape créatrice d’une telle force et je pense que tout appel en ce sens aurait le même caractère dérisoire que les gesticulations à la Besancenot sur le NPA, faux-nez de la LCR. Je crois encore moins à l’hypothèse folle d’une auto-dissolution du PCF qui casserait un des points d’appui décisifs de la genèse d’une telle force. Mais je crois que le congrès devrait donner un signal fort de la disponibilité des communistes pour revoir dans ses fondements, sans hégémonisme ni faux-semblant, les perspectives de changement des dispositifs politiques à la gauche du social-libéralisme.
8) Cette disponibilité devrait s’organiser autour de convergences thématiques fortes et durables sans les coups de barre désastreux qui ont décrédibilisé le processus de rassemblement initié dans le feu de la bataille du Non (les coups de barre venant de tous les cotés, à commencer par ceux de la direction du PCF, entraînant une majorité des adhérents). Il n’est que trop clair que la remise en marche d’un tel processus de rassemblement se heurte à la fois aux séductions du renoncement, venant en particulier des sirènes du PS, et aux patriotismes d’appareil des différentes mini- ou micro-formations politiques qui se partagent l’espace politique à la gauche du PS (et le PCF n’est naturellement pas indemne de ces stériles patriotismes).
9) Mais le plus grave des obstacles est celui de la théorie et de la pratique des deux gauches. Aucune force significative, visant à construire une hégémonie des idées transformatrices ne pourra se construire sur la base d’un refus de participer aux exécutifs et instances de pouvoir (même si, dans le passé, les rassemblements populaires transformateurs se sont parfois construits avec des forces de ce genre cf la part des anarcho-syndicalistes dans la naissance du PCF, des anarchistes dans la révolution espagnole). Aucune force significative ne pourra se construire sur la base d’un refus de collaborer avec les forces organisées qui, tout en s’alignant de plus en plus sur le libéralisme, portent encore les espoirs d’une partie majoritaire du peuple de gauche. Sur ces deux point la divergence avec le NPA est cruciale. Résorber cette différence sera une œuvre de longue haleine, d’autant plus difficile à mener à bien que bien des communistes partagent en fait l’idée de l’inutilité de la participation aux pouvoirs dans la société bourgeoise et celle de la nécessité de la « rupture » totale avec le PS et consorts.
Je conclus :
- pas d’auto-dissolution du PCF,
- pas de changement de nom (il aurait fallu le faire il y a quinze ans),
- pas d’appel, inutile à l’étape présente, à la « fusion » organique avec les organisations d’extrême-gauche (et encore moins un retour à la « vieille maison » socialiste pour y occuper l’aile gauche dans le ballet des tendances)
- un appel au PS, surtout à ses électeurs et militants, argumentant sur le risque de son déclin et de son effacement faute de retour aux idées et pratiques de gauche, et sur la nécessité de réorienter la politique française vraiment à gauche.
- un appel aux forces de l’extrême-gauche (directions et militants) se situant dans la perspective d’un futur dépassement des organisations existantes à la gauche du PS, PCF compris,
- un appel aux forces de la société civile anti-libérale (type syndicats, Attac, clubs de gauche, écologistes progressistes) en vue de la création d’un front anti-libéral, écologiste, féministe, multiculturel, sans en oublier les croyants progressistes du christianisme et des autres fois présentes en France, musulmans compris.
- une proposition de forums permanents et de comités de liaison permettant de donner progressivement corps à cette force politique qui s’impose pour l’avenir à la gauche du social-libéralisme.
- un programme en bonne et due forme de ce que veulent les communistes (vive la « démarche programmatique » si injustement dévalorisée au nom de considérations spontanéo-autogestionnaires fumeuses)
- et naturellement les dispositions organisationnelles donnant au PCF l’enracinement, la force et la clarté de direction permettant de mettre en œuvre pleinement sa vocation fondamentale : une vraie ouverture à la société telle qu’elle est afin de la changer.
Pierre Saly, historien,
section PCF du 5e arrondissement, Paris
1) Les régimes dits communistes de l’URSS et de la Chine (et, dans des formes diverses de certains autres pays) ont réalisé des tâches historiques considérables, nécessaires et positives. En ce sens ils n’ont pas été et ne sont pas des « échecs ». Mais ils n’ont à presque aucun égard réalisé, ni même ébauché, la tâche fondamentale proposée par la vision marxiste du devenir humain : l’émancipation des individus et des sociétés. En ce sens le communisme, dans sa version étatique historique, est un modèle qui est, et qui a toujours été, inadapté aux réalités d’un pays comme la France.
2) La naissance du PCF au congrès de Tours est le produit de circonstances historiques conjoncturelles aujourd’hui très lointaines et d’une lecture fantasmée de ce qu’était la révolution russe en 1920. Ces circonstances ont disparu. Le congrès de Tours est obsolète dans la plupart de ses dimensions sauf une, essentielle, le refus d’accompagner l’hégémonie de la bourgeoisie et de mobiliser autour d’elle les forces populaires en demande de changements radicaux. Il ne s’agit donc pas d’annuler le congrès de Tours (ce qui n’a d’ailleurs pas de sens pour l’historien) mais de réaliser un nouveau congrès fondateur sur la base de ce même refus, dans les formes de notre temps. Mais je ne crois pas que le congrès du PCF de décembre puisse être ce congrès.
3) Cette lecture fantasmée de la réalité soviétique a perduré pendant environ un demi-siècle faisant fonction d’utopie mobilisatrice. A l’abri de cette utopie s’est organisée, dans les conditions spécifiques de la France, une puissante force de changement réel construite autour d’une stratégie de rassemblement populaire et national visant à des réformes structurelles radicales mettant en cause concrètement le contenu de la domination capitaliste. Rien de cette stratégie et des pratiques qui l’ont accompagnée n’avait le moindre rapport avec ce qui se passait dans les pays du « socialisme (ir)réel ». Cette stratégie demeure la seule possible. Sa part de tactique de sommet et de mobilisation à la base est affaire de circonstances. Mais une chose est évidente : il est vain de croire que les réalités d’aujourd’hui créent les mêmes conditions et possibilités que celles d’il y a un demi ou trois quarts de siècle.
4) Il faut bien constater que l’audience des forces organisées se réclamant du communisme est et a toujours été très faible, souvent négligeable, parfois réelle mais marginale, presque jamais massive (y compris dans la classe ouvrière de la plupart des pays industrialisés) sur la quasi-totalité de la planète. Sauf cas particulier, transitoire, de superposition de l’idéologie nationale émancipatrice et de l’organisation communiste (Chine, VietNam, Cuba etc). Cette audience est aujourd’hui très diminuée, parfois explosée. Dans quelques pays une influence communiste importante s’est révélée ne pas résister aux changements du monde et de la société et s’est en quelque sorte volatilisée (Italie). La menace d’une telle volatilisation n’épargne pas la France.
5) Les conditions de la France sont spécifiques comme celles de tout pays. Or il se trouve qu’existe en France plus que dans aucun autre pays une forte tradition de gauche transformatrice visant à des transformations radicales dans la société (parfois identifiées comme constitutives d’une « révolution ») : républicains « avancés » au XIXe siècle, guesdistes, jauressiens et anarcho-syndicalistes au début du XXe siècle etc. Le PCF a réussi à capitaliser et unifier pendant une courte période la quasi-totalité des forces représentatives de cette tradition (dont d’ailleurs les tendances perduraient plus ou moins dans les profondeurs du peuple communiste). Mais dans le long terme il est clair que ces forces sont diverses, parfois dramatiquement opposées dans des combats significatifs ou futiles. C’est de cette situation qu’il faut partir et non des mythes des organisations déviantes, traîtresses, infiltrées, ayant pour seule ambition de détruire le PCF, bref « ennemies de classe ». L’existence de cette tradition d’une gauche radicale plus ou moins révolutionnaire a jusqu’à présent résisté aux transformations, pourtant majeures, de la société survenues depuis 1789.
6) Il y a donc place en France pour une grande force de gauche transformatrice, se réclamant d’une audacieuse visée de réformes de portée révolutionnaire, notamment anticapitaliste (sauf à penser que, contrairement à ce qui s’est passé pendant deux siècles, les mutations sociales sont venues à bout de l’existence de cette tradition se voulant révolutionnaire, ce que je ne crois pas). Cette grande force de gauche transformatrice, qui a vocation à se rassembler (au moins temporairement) peut occuper un espace politique variable, pas moins de 10% de l’espace électoral, circonstanciellement beaucoup plus. Mais surtout elle peut occuper un espace social et idéologique beaucoup plus important. Or c’est dans cet espace que se construit l’hégémonie qui ouvre la voie aux victoires politiques.
7) Il est vain de penser que cette force « à la gauche du social-libéralisme » puisse se résumer au seul PCF, même « rénové », ou qu’elle puisse se constituer autour du PCF et par ralliement à lui. Je ne crois donc pas que le prochain congrès du PCF puisse être l’étape créatrice d’une telle force et je pense que tout appel en ce sens aurait le même caractère dérisoire que les gesticulations à la Besancenot sur le NPA, faux-nez de la LCR. Je crois encore moins à l’hypothèse folle d’une auto-dissolution du PCF qui casserait un des points d’appui décisifs de la genèse d’une telle force. Mais je crois que le congrès devrait donner un signal fort de la disponibilité des communistes pour revoir dans ses fondements, sans hégémonisme ni faux-semblant, les perspectives de changement des dispositifs politiques à la gauche du social-libéralisme.
8) Cette disponibilité devrait s’organiser autour de convergences thématiques fortes et durables sans les coups de barre désastreux qui ont décrédibilisé le processus de rassemblement initié dans le feu de la bataille du Non (les coups de barre venant de tous les cotés, à commencer par ceux de la direction du PCF, entraînant une majorité des adhérents). Il n’est que trop clair que la remise en marche d’un tel processus de rassemblement se heurte à la fois aux séductions du renoncement, venant en particulier des sirènes du PS, et aux patriotismes d’appareil des différentes mini- ou micro-formations politiques qui se partagent l’espace politique à la gauche du PS (et le PCF n’est naturellement pas indemne de ces stériles patriotismes).
9) Mais le plus grave des obstacles est celui de la théorie et de la pratique des deux gauches. Aucune force significative, visant à construire une hégémonie des idées transformatrices ne pourra se construire sur la base d’un refus de participer aux exécutifs et instances de pouvoir (même si, dans le passé, les rassemblements populaires transformateurs se sont parfois construits avec des forces de ce genre cf la part des anarcho-syndicalistes dans la naissance du PCF, des anarchistes dans la révolution espagnole). Aucune force significative ne pourra se construire sur la base d’un refus de collaborer avec les forces organisées qui, tout en s’alignant de plus en plus sur le libéralisme, portent encore les espoirs d’une partie majoritaire du peuple de gauche. Sur ces deux point la divergence avec le NPA est cruciale. Résorber cette différence sera une œuvre de longue haleine, d’autant plus difficile à mener à bien que bien des communistes partagent en fait l’idée de l’inutilité de la participation aux pouvoirs dans la société bourgeoise et celle de la nécessité de la « rupture » totale avec le PS et consorts.
Je conclus :
- pas d’auto-dissolution du PCF,
- pas de changement de nom (il aurait fallu le faire il y a quinze ans),
- pas d’appel, inutile à l’étape présente, à la « fusion » organique avec les organisations d’extrême-gauche (et encore moins un retour à la « vieille maison » socialiste pour y occuper l’aile gauche dans le ballet des tendances)
- un appel au PS, surtout à ses électeurs et militants, argumentant sur le risque de son déclin et de son effacement faute de retour aux idées et pratiques de gauche, et sur la nécessité de réorienter la politique française vraiment à gauche.
- un appel aux forces de l’extrême-gauche (directions et militants) se situant dans la perspective d’un futur dépassement des organisations existantes à la gauche du PS, PCF compris,
- un appel aux forces de la société civile anti-libérale (type syndicats, Attac, clubs de gauche, écologistes progressistes) en vue de la création d’un front anti-libéral, écologiste, féministe, multiculturel, sans en oublier les croyants progressistes du christianisme et des autres fois présentes en France, musulmans compris.
- une proposition de forums permanents et de comités de liaison permettant de donner progressivement corps à cette force politique qui s’impose pour l’avenir à la gauche du social-libéralisme.
- un programme en bonne et due forme de ce que veulent les communistes (vive la « démarche programmatique » si injustement dévalorisée au nom de considérations spontanéo-autogestionnaires fumeuses)
- et naturellement les dispositions organisationnelles donnant au PCF l’enracinement, la force et la clarté de direction permettant de mettre en œuvre pleinement sa vocation fondamentale : une vraie ouverture à la société telle qu’elle est afin de la changer.
Pierre Saly, historien,
section PCF du 5e arrondissement, Paris